Big Data, Small Pain : Petite réflexion autour du Big Data, de la relation de service et des banques – assurances

Par Benoît MEYRONIN, associé fondateur de l’Académie du Service et professeur à l’EM Grenoble

 

En Europe, l’exploitation des données bancaires par les institutions financières ou par des tiers commence à soulever bien des interrogations. Bien plus, les pratiques jugées excessives – comme celles d’ING Direct – ont pu faire l’objet d’un rejet sans appel de la part des clients de l’institution[1]. C’est dans ce contexte que, récemment, j’ai eu l’opportunité, avec Charles Ditandy, de donner une conférence dans le cadre d’un séminaire visant à co-construire le plan stratégique d’un groupe mutualiste. A l’issue de la conférence, une société spécialisée dans le Big Data a pris la parole à son tour et les réactions ont été assez… virulentes. Cela m’a inspiré les réflexions qui suivent.

 

 1. Où tout est affaire de posture

 

D’abord, j’ai le sentiment que les deux intervenants ont commis deux erreurs dans leur posture. La première, c’est de n’avoir pas posé comme préalable le respect de la vie privée (les données étant soit rendues anonymes, soit exploitées avec le consentement d’un client dûment informé) en faisant, globalement, un peu plus de pédagogie autour d’un sujet complexe (tant sur le plan éthique que sur le plan technologique) afin de rassurer ; la seconde, c’est d’avoir à trois reprises voulu – justement, mais bien mal à propos – rassurer l’audience en précisant que, finalement, tout cela n’était qu’un moyen pour « remplacer » de bons commerciaux…

Face à des équipes commerciales (il y en avait dans la salle), dans le contexte d’une mutuelle aux valeurs bien ancrées, cette posture était maladroite et elle explique donc en partie la réaction des participants – même si je dois mentionner pour être juste la réaction positive de l’un d’entre eux. Le discours pouvait de ce fait aisément servir de tremplin pour attaquer des pratiques marketing extrêmement ciblées, voire intrusives, grâce au recours de la technologie.

2. Le Big Data n’est pas l’ennemi juré : vers un « Outil d’Aide à la Relation » ?

 

De plus, un aspect positif – au-delà de la seule Vente – aurait également pu être souligné, comme le fait de pouvoir anticiper plus d’un an à l’avance des situations probables de surendettement – ou pour le moins des difficultés majeures[1]. Bref, Big Data ne rime pas forcément avec Big Brother et il aurait été sans doute pertinent de faire plus de pédagogie et de montrer toutes les facettes – y compris protectrices – de ces technologies, en rappelant un contexte légal certes plus permissif mais toujours soucieux de la protection de la vie privée.

De fait, le Big Data s’inscrit dans le prolongement d’un mouvement long, celui de l’industrialisation des métiers de service, mouvement qui s’est enclenché dans les années 70 avec l’informatisation progressive des back-offices des banques (ici, en l’occurrence). Il n’est jamais que le dernier (plus exactement, l’un des derniers) avatar de cette dynamique et on peut donc aussi l’appréhender comme un formidable « outil d’aide à la relation ».

En effet, imaginons plutôt un monde non plus d’oppositions (ce que présentait finalement les propos de nos thuriféraires du Big Data) mais de complémentarités entre l’humain et l’intelligence informationnelle, un monde dans lequel le conseiller bancaire pourrait s’appuyer sur le Big Data pour entrer en relation (ou enrichir la relation) avec son client, lui suggérer un accompagnement, une offre de service, sans être aussi intrusif que la machine, en étant beaucoup plus fin : en disposant, certes, d’une information pertinente, mais surtout en dialoguant avec son client, il devrait pouvoir « entrer » avec plus de nuance dans ses projets de vie – nous y reviendrons dans le point quatre.

 3. Une posture bancaire créatrice de confiance (et non amplificatrice de défiance)

 

En jouant franc jeu, afin de ne pas sembler être un magicien ou un intrus mal intentionné, l’institution bancaire adopterait dans ce monde une posture juste dans laquelle chaque client doit pouvoir se prononcer pour ou contre l’usage de ses données à des fins commerciales. La loi l’y oblige, mais ce n’est pas suffisant. En effet, la référence à des datas doit pouvoir être systématique de façon à ce que le client puisse toujours réagir en conséquence si cela devait lui déplaire in fine. Et l’on peut penser à l’inverse que pour certains clients, le fait d’être mieux informé, de pouvoir mieux anticiper, de se voir proposer des offres plus pertinentes, peut parfaitement être – est déjà dans certains cas – une posture recherchée.

Les banques devront donc faire beaucoup de pédagogie autour de ces technologies car rien ne serait pire que ce Monde du Silence et le climat de défiance qui est son corollaire si elles ne prenaient pas clairement la parole sur ce thème. Et elles devront nous donner le choix, pour ou contre. En amont, elles devront faire la preuve également que cela sert aussi nos intérêts et pas seulement les leurs – je pense ici notamment aux modèles prédictifs évoqués plus haut.

 4. Ce que le Big Data ne vous dira jamais : valoriser l’intelligence émotionnelle

 

Ceci étant posé, il me semble que le Big Data ne pourra jamais atteindre le niveau de complicité qu’un collaborateur en contact aguerri pourra développer au contact de ses clients. En les voyant moins, mais en les voyant mieux, il pourrait préparer une prise de contact avec ses clients en disposant des données pertinentes pour leur proposer un accompagnement adapté aux projets qui sont les leurs. Et, en étant face au client, lui seul aura le pouvoir de faire marche arrière s’il sent le sujet encore sensible (préparer sa retraite, une éventuelle future perte d’autonomie…), car rien ne serait pire que d’entrer en relation de façon outrageusement maladroite – au prétexte que l’on détient des données dites « pertinentes ».

Car lui seul aura – ou devra avoir – cette intelligence émotionnelle et situationnelle qui lui fera sentir l’à-propos (ou non) de l’entrée en relation autour d’un sujet que les données semblent indiquer. Il faudra donc non seulement investir dans les technologies de l’anticipation mais, bien plus, engager des programmes d’investissement dans les Hommes pour qu’ils adoptent les bonnes postures, et pour qu’ils fassent de ces technologies une alliée au service d’une lecture fine des projets de vie et des préoccupations de leurs clients. Tout en gardant, en dernier ressort, la possibilité de s’en servir ou non pour bâtir ou conforter une relation fondée d’abord sur la confiance et non sur la donnée.

 5. Le mot de la fin : positionnement du Big Data et confiance des collaborateurs

 

In fine, en se positionnant non pas comme un totem surpuissant permettant de se passer des Hommes mais comme un simple Outil d’Aide à la Relation, les Big Data trouveront plus certainement leur place – et, partant, un certain degré d’acceptation de la part de chacun, clients ET collaborateurs. Ces derniers, parce qu’ils peuvent craindre une logique de substitution (capital versus travail) autant qu’une défiance accrue de la part des clients (« décidément, vous autres banquiers/assureurs vous n’avez aucune morale »), pourraient en effet sinon rejeter, du moins ne pas soutenir ces pratiques.

Or il me semble que sans leur adhésion, sans leur capacité à l’utiliser à bon escient et à le démystifier, le Big Data ne trouvera pas complètement ni ses marques opérationnelles ni sa légitimité. Chacun à sa place, en somme…

[1] Ce que fait le groupe BPCE, en lien avec une chaire portée par Paris-Tech, via des modèles prédictifs. Information donnée dans l’article du quotidien déjà cité.

[1] Cf. l’article publié dans Le Monde (pages Eco & Entreprises) daté du 18 mars 2016.

1 commentaire

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Une réponse à “Big Data, Small Pain : Petite réflexion autour du Big Data, de la relation de service et des banques – assurances

  1. BRU

    D’abord je dois dire que je lis vos articles avec beaucoup d’intérêt.

    Je suis particulièrement intéressé par les relations conseiller bancaire-client et suis parfaitement d’accord avec les points 4 et 5. J’essaye de préparer un recueil de mes impressions et de mon expérience à destination des conseillers bancaire pour les PME et dans mes préparations J’avais présenté un thème analogue ci dessous sur la réaction du conseiller bancaire à la part de + en + importante du digital et du big data, comment ces éléments peuvent enrichir son métier à condition que les services marketing centraux donnet confiance et moyen aux conseillers en contact dépositaires de l’intelligence relationnelle (ou émotionnelle comme vous dites):

    Extrait: La digitalisation, l’importance prise par Internet ne va donc pas à l’encontre du conseiller, au contraire, à condition d’avoir des conseillers de qualités, capable d’élever le débat et donc le niveau de conseil, mais aussi de valoriser les conseillers dans ce « nouveau » rôle auprès du client.

    Dans cet univers décrit, le client viendra moins souvent à l’agence, il n’y viendra que pour des opérations plus complexes. Les relations seront plus « solennelles » avec le client, moins conviviales peut être car moins « habituelles ». Il faudra donc compenser par empathie, utilité et qualité des conseils, pour éviter une distanciation des relations et que le client, au final se retourne vers les banques Internet pure-player.

    Afin de créer ces « moments » plus solennel avec le client, propice au contact et au conseil, le conseiller pourra s’appuyer sur sa connaissance de ses clients mais aussi (et de plus en plus) sur les outils proposés en central qui permettent d’être pro-actif par rapport aux besoins du client. Bref de les anticiper.

    Autant j’ai indiqué plus haut que les services centraux de marketing devaient avoir l’humilité d’accepter que le marketing des services se fait « en bas », en agence, en face à face client-conseiller, autant les conseillers doivent accepter qu’ils ne sont pas les seuls à connaître leurs clients. Les outils modernes de CRM et de data mining et big data (analyse de masse et croisement des données digitales, les sites Internet visités, les achats cartes bancaire et toutes les données client que nous connaissons), permettent aux services centraux (et il n’y a que là que cela peut se faire) d’aider les conseiller à mieux connaître et mieux anticiper les besoins des clients.

    On verra donc se développer, dans le futur, une communication quasi spécifique et individuelle avec le client sur le site Internet (des bannières et pop up adaptées à sa demande) qui vont permettre de faciliter la relation, elle aussi spécifique et individuelle entre le client et son conseiller.

    C’est le challenge à réussir et qui permettra de réconcilier marketing central et marketing terrain, le central et le conseiller. Utopie ? J’espère que non, et il faudra que les banques misent sur leur conseillers, les forme à être des vrais vecteurs de conseils, les valorise pour cette tâche, sinon toutes les banques ne seront plus que pure player et digitales, et, la nature ayant horreur du vide, l’aspect conseil sera sous traité ou effectué par des prestataires externes aux banques.

    Philippe Bru

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